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Etude du site des canons du rocher blanc à el Hamdania. Cherchell.

KHELLAF Rafik « Centre universitaire de Tipaza », BENSALAH Nazim « Institut d’archéologie d’Alger », Mohammed Fawzi Maallem « Université 8 Mai Guelma », BENSAIDANI Youcef « Centre universitaire de Tipaza » BENAOUDA Nadjib « Centre universitaire de Tipaza » MAGHA Mustapha « Centre national de recherche en archéologie »

 Introduction

Dans le cadre de la réalisation d’une infrastructure portuaire destinée au transport de marchandise, d’importants travaux sous-marins sur la cote de la commune de Cherchell et d’El Hamdania et ont été inscrits. Ces travaux concernent la réalisation de 24 postes à quais dont la superficie, incluant le bassin et les jetées, s’étend sur plus de 200 hectares. Ces ouvrages composeront le plus grand port d’Algérie.

Nous avons effectué une première opération à la fin de l’année 2018, et deux autres au cours de l’année 2019. Notre équipe a pu identifier et documenter un site, celui des canons du rocher Blanc dont les résultats suivants concernent essentiellement ce dernier.

Contexte des opérations

Le site de construction du futur port, est directement lié à la ville de Cherchell (Iol Caesarea), la présence de villae antique est irréfutable sur deux des trois caps inclut dans le site de construction du port ( Leveau 1984). L’agglomération du site des 3 ilots, site classé, est la meilleure preuve de l’importance des activités humaines à cet endroit et des vestiges archéologiques qui en résultent (voir fig 1) .

Figure 1. Plan de situation du Site des 3 ilôts (Leveau, 1984) redessiné par Y. Bensaidani.

Cherchell est une ville d’Algérie qui se situe à 89km à l’ouest d’Alger (voir fig. 2), elle est bordée au nord par la mer méditerranée et au sud par la chaine montagneuse de la Dahra. La ville se trouve dans un théâtre naturel ouvert sur la mer, composé de mont et chaine montagneuse, qui rend l’accès à la ville très difficile, d’où certainement le choix d’implanter une capitale d’un royaume berbère dans la région. La ville est devancée par un ilot (Ilot Joinville) que l’on retrouve dans les sources antiques, et qui a très tôt facilité l’installation d’un port dans la ville par les phéniciens. La ville s’est développé dans la période romaine pour devenir la capitale de la Maurétanie césarienne sous le règne de Juba II. Elle a aussi connu une période de développement à l’époque ottomane grâce entre autres à son port.

Figure 2 : Carte routière Michelin éd. 1962 Echelle 1/5.000.

Méthodes d’approches

Nous avons effectué une prospection au sondeur, muni de la technologie clearvu et Sidvu. Cet outil propose une image de qualité quasi photographique du fond de la zone prospectée et des images détaillées de ce qui se passe sous la surface de chaque côté du bateau (voir fig 3).

Figure 3. Passage au sondeur avec utilisation de la technologie SideVu.

Nous avons aussi, grâce au sondeur, établi la carte bathymétrique détaillée de toute la zone (précision de 30cm), (voir fig 4) afin de pouvoir comprendre le contexte des éventuels vestiges trouvés in situ, mais aussi d’identifier des anomalies sur le fond sableux (comme des Tumulus) pouvant trahir la présence de vestige engloutis.

Figure 4. Carte bathymétrique du site du Rocher Blanc.

Sur les petits espaces, On a opté pour la technique de prospection à vue par couloir. Ce système repose sur une chaîne de plongeurs, entre deux et six, espacés entre eux le long d’un ruban à mesurer ou ligne graduée à intervalles équivaut selon la limite de visibilité, de sorte qu’une couverture complète est possible (voir fig 5). La recherche est entreprise avec une ligne de fond pour guider un contrôleur, les autres plongeurs suivront celui-ci. La présence d’un objet sous l’eau sera signalée en tirant sur la ligne et positionnée à partir des deux lignes de fond.

Figure 5. Exemple de prospection en ligne par couloir.

Le site prospecté a été balisé, les espaces à fort potentiel archéologique délimités à l’aide d’éléments apparents sur la surface.  Un quadrillage a été mis en place. Chaque balise a été géo référencé. Les relevés effectués sous l’eau auront pour point de référence les balises et la ligne de fond.

Vu l’importance du site, nous avons dû mettre en place une stratégie d’étude spécifique, avec des moyens humains limités. Le petit fond ne permet pas la présence d’une grande équipe de plongeurs, sinon la visibilité aurait été perturbée après quelques minutes de plongée seulement. En revanche, la faible profondeur (entre 3m et 5m), nous permettait de rester plus longtemps sous l’eau. Trois étapes étaient nécessaires pour le travail sur le terrain, la première consistait en une prospection élargie du site, la deuxième consistait à la délimitation du site de travail où les vestiges se concentraient quant à la troisième elle consistait à prendre en considération tous les aspects d’étude (photographie, différents relevés du site et recensement des canons et autres contraintes techniques…)

Résultats des recherches

Les prospections à vue effectuées sur la côte Ouest du site du port (Site du rocher blanc, entre la plage Oued El Bellaa à l’Ouest et la plage des trois ilots à l’Est) (voir fig 6) ne nous ont pas permis de faire de nouvelles découvertes mise à part celle des canons submergés à la plage du rocher blanc, signalés de cela il y’a quelques années.

Figure 6. Emplacement des canons sur la carte 1/50 000.

Le premier signalement a été fait en 1990, par un pêcheur amateur du rocher blanc, une association locale de plongée sous-marine « Maarif » avait fait une première exploration mais ils n’avaient pas publié les résultats. 24 canons (Houaoura 2007)  ont été recensés après notre première visite du site. Un bref entretient avec le pêcheur, inventeur du site, nous a confirmé que ces autres découvertes, faites au gré de ses ramassages en plage (boulet de canon, fragments de jarres, clous en bronze..etc), n’étaient pas contemporains de l’épave. Nous avons concentré nos efforts, lors de cette première mission, à étudier et documenter ce site.

Un premier relevé de situation des canons a été effectué (voir fig 7). Ce relevé se base sur la technique de relevé à angle droit (90°). Cette technique est plus simple a effectuée vue qu’elle ne nécessite que deux mesure, mais moins précise que la triangulation par exemple. Un levé topo exacte est prévu pour les futures opérations.

Figure 7. Les canons N°11, N°12, N°13.

Nous avons effectué les premiers relevés par photogrammétrie, dont le traitement est toujours en cours.  Les conditions étant très difficiles (faible profondeur et mauvaise visibilité) nous avons optés pour une fragmentation des vues photogrammétrique en attendant de pouvoir modéliser le site en entier. (voir fig 8).

Figure 8. Photogrammétrie d’une partie du site (toujours en cours de réalisation).

Les canons sont très altérés par leur environnement (voir fig 9). Une couche de concrétions calcaire s’est déposée sur les canons et à cause de ce dépôt calcaire, nous n’avions pas pu avoir les mesures exactes des canons, ni savoir s’il y’a des indications sur les canons eux-mêmes qui nous auraient permis de les dater avec exactitude. Ce qui est sûr, c’est que le boulet de canon retrouvé sur la plage par le pêcheur, pourrait nous aider à donner une datation à partir de la deuxième moitié du 16éme siècle, période où les boulets en fer ont fait leur entrée dans l’artillerie navale (Gay 1988).

Figure 9. Relevé et disposition des canons ( Khellaf et Bensalah 2016).

La question qui reste posée même sans la présence d’épave, pourquoi un navire de guerre serait-il venu s’échouer dans cette baie ? Dans un rapport de la marine française, du XIXème siècle le commandant Collet affirme que les bateaux algériens qui battent en retraite, regagnent leur port, en navigant près du rivage, cherchant la protection des batteries à terre (Devoulx 1869). C’est une technique défensive qui pourrait être périlleuse pour les navires, surtout ennemis, car en plus des batteries défensives, l’ennemi ne connait pas forcément les hauts fonds à proximité du rivage. Nous avons alors entrepris des recherches en archives sur les différentes batailles qui auraient pu avoir lieu à Cherchell. L’une d’elle s’est déroulée le 24 aout 1665 pendant laquelle une flotte française commandée par le duc de Beaufort et le chevalier Paul, y défait une escadre algérienne, deux bâtiments ottomans, dont le navire-amiral le Pots-de-Fleurs, sont coulés et trois autres capturés ( De La Roncière et Clerc-Rampal 1934).

Conclusion

Nous avons essayé de démontrer le potentiel archéologique sur le site de l’emplacement du futur port d’El Hamdania, il s’avère que la région est très riche en patrimoine culturel, qui s’échelonne sur plusieurs périodes chronologiques.

Nous avons aussi fait quelques propositions pour la suite des travaux, essentiellement approfondir les recherches sur les sites connus, étendre les recherches au large, à l’emplacement de tous les quais et bassins du port et enfin proposer des solutions pour le traitement du mobilier issu des recherches.

Figure 10. Croquis géomorphologique de la région du futur projet ©C. Morhange 2018.

Le site de la villa romaine des trois ilots, ne sera pas impacté directement par le nouveau port, par contre les conséquences de ce dernier à long terme lui seront fatales. (voir fig 10) D’après le Pr. Morhange, il y’aura à long terme :

  • un problème de gestion des écoulements fluviaux.
  • Accumulation des sédiments et de sable à l’ouest, avec un recouvrement des vestiges archéologiques.
  • Erosion accélérée à l’Est du port, qui jouera un rôle d’un méga-épi qui scinde en deux la cellule sédimentaire.

En plus des sites étudiés précédemment, deux caps et un delta ont été délimités. Ces zones seront elle aussi concernées par une prospection par observation à petite échelle et éventuellement quelques sondages. Le reste de la zone, dont la majeure partie est au large de la cote, sera concerné par une prospection géophysique et au sonar. Un magnétomètre permettra de localiser la présence de matériaux métallique. Une prospection aérienne est à envisager sur toute la surface du projet.

Références

De La Roncière C., Clerc-Rampal G., 1934, Histoire de la Marine Française, Librairie Larousse, Paris.

Devoulx A., 1869, « La marine de la régence d’Alger », in Revue Africaine, journal des travaux de la société historique algérienne, par les membres de la société sous la direction du président, 13eme année, N°77.

Gay J., 1988, «Le fer dans la marine en bois : l’exemple de la flotte de guerre française (1665-1815) », In Histoire & Mesure, volume 3 – n°1, Ed. EHESS.

Houaoura (M.), 29/12/2007 « Un canon du XVIe siècle récupéré dans le Port de Cherchell » in quotidien El Watan.

Leveau (Ph.), 1984, Caesarea de Maurétanie, une ville romaine et ses compagnes, Rome : Ecole française de Rome.